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En Irak avec Arnaud de La Grange et Bertrand de Miollis (2004)
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Photographe au long cours
par Arnaud de La Grange
Il n’est jamais vraiment content. Quand il apparaît vers 9 heures, sa journée est déjà vieille de quatre heures. Le plus souvent, il bougonne : "pas assez de lumière", "ils m’ont em... parce que j’avais pas d’autorisation", "j’avais pas la bonne péloche"... Depuis l’aube, il traque la lumière et il repart en chasse à l’orée du soir. Ses doutes, toujours, sont mal fondés car ce qu’il ramène est superbe.Il n’est jamais content de lui, Thomas, et c’est plutôt bon signe. Car il ne se prend pas au sérieux et cherche toujours à faire mieux demain. Et sur le fond, il est heureux car il fait ce qu’il aime et il aime ce qu’il fait. La photographie, il l’a choisie dès ses études. C’est pour cela qu’il a fait les Arts Déco. C’est pour cela qu’il se bat depuis des années pour s’imposer dans ce monde si fermé du photo reportage. Il aurait pu choisir la photo "news", celle qui fait courir après l’actualité. Il a préféré la photo de fond, les reportages au long cours, les sujets qui impriment autant le coeur et l’âme que la pellicule.
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Mont Igman, Bosnie (1995)
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Son premier grand travail, c’est à son service militaire qu’il le doit. Il a atterri aux Invalides. Mais les photographies de cours d’honneur ou de salons le lassent vite. C’est l’époque où les Balkans se consument d’un feu sans fin. Les casques bleus français bivouaquent sur les hauteurs de Sarajevo. Thomas demande à les rejoindre. Ce sont des chasseurs alpins qui sont alors déployés. En trois coups de raquette, Thomas passe ses brevets d’alpiniste militaire et de skieur militaire. Puis s’envole vers la Bosnie. Et il devient le chroniqueur visuel du 7e BCA. Il en résulte un livre : Bosnie, hiver 95. Les livres militaires, catalogues de postures viriles et de barouds mis en scène, sont souvent ennuyeux. L’ouvrage de Thomas est à l’opposé. D’abord, les clichés des chasseurs sur les pentes blanches du Mont Igman sont d’une esthétique incroyable. Mais surtout, l’épaisseur humaine est palpable. La fatigue, la peur, la camaraderie, le devoir aussi, sont exprimés de manière sobre, pure, vraie. Le reportage est vécu de l’intérieur et cela change tout.
C’est cette démarche qui guide désormais Thomas. C’est pour cela qu’il aime par dessus tout couvrir de grands projets, en s’y impliquant totalement. Comme photographe, mais aussi comme acteur. C’est le cas avec Enfants du Mékong. Pour cette association qui organise le parrainage d’enfants d’Asie du Sud-Est, il signe un deuxième livre plein de sourires beaux ou tristes. C’est en Asie d’ailleurs qu’il se révèle vraiment. L’Asie du Sud-Est, plus exactement, et surtout le Vietnam et le Cambodge dont il est tombé amoureux.
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Baie D’Along, Vietnam (1996)
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C’est de là qu’il part pour une troisième grande histoire, celle de la jonque Sao Mai, le fabuleux voyage de Michaël Pitiot, co-organisateur de Portes d’Afrique. Deux ans d’investissement qui le mènent du Cambodge à Saint-Malo en passant par Madagascar et Sainte-Hélène. Résultat, un superbe livre où l’aventure humaine transpire à chaque page.
Aujourd’hui, quand on le voit partir bardé de sacs photo au poids invraisemblable, on ne peut s’empêcher de voir la silhouette du sergent d’infanterie de montagne... Il est solide et cela se voit. Carré, les pieds bien plantés dans la glaise picarde. C’est un terrien, un marcheur. Le paradoxe, c’est que depuis cinq ou six ans, il ne couvre que des projets maritimes. Le coeur en vrac, parfois, mais en s’accrochant. C’est aujourd’hui le cas avec Portes d’Afrique où Thomas se passe le relais avec Véronique Durruty pour la couverture photographique.
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Portes d’Afrique (2003)
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Là encore, il est sur tous les fronts. Que ce soit pour donner un coup de main pour l’organisation à Paris. Ou à la manoeuvre et aux fourneaux à bord. Toujours là aussi dans les moments difficiles. Il est comme cela. A 34 ans, il considère toujours que le métier doit rimer avec amitié. Et tant pis s’il perd parfois quelques plumes, il préfère les chemins droits. Thomas va débarquer à Dakar. Un peu triste de laisser le bateau continuer sa remontée vers Toulon sans lui. Mais heureux de retrouver le tout jeune Guillaume, qu’il a laissé avec Geneviève un peu plus tôt qu’il ne l’aurait voulu. La famille, pour lui, c’est sacré. D’ailleurs, comment y échapper quand la France compte environ un Goisque au km² ? Au final, sur Portes d’Afrique, il n’aura connu qu’un seul échec, mais de taille. Sa ligne de pêche sera - presque - toujours restée désespérément lâche.
Arnaud de La Grange
Grand reporter au service étranger du Figaro
Initiateur du projet Portes d’Afrique
A bord du bateau de Portes d’Afrique, 2004
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