Avec Sylvain Tesson, sur les hauteurs du lac Baïkal
Avec Sylvain Tesson, sur les hauteurs du lac Baïkal (2007)


Homme du large, homme du port
par Sylvain Tesson

Pour avoir beaucoup voyagé avec lui, pour l’avoir longtemps observé sur le terrain et pour avoir regardé quelques milliers de ses photos, je crois pouvoir être en mesure d’avancer deux ou trois commentaires sur le personnage de Thomas Goisque, en demeurant objectif (ce qui est la moindre des politesses lorsqu’on dépeint un photographe). Sa formation artistique (les Arts Déco) et son goût pour le métier des armes font de Thomas Goisque l’étrange produit d’une nuit de noces entre un officier prussien et un peintre sensible. S’il aime la chose militaire, c’est à cause des beaux panaches, des bannières colorées, des cafetans et des fourragères qui ont fait de la marche des armées un permanent défilé de couture, de style et d’élégance sur les pistes du monde. S’il aime la photographie, c’est parce qu’elle lui donne le loisir de courir le vaste monde et de se réserver une place aux premières loges de son spectacle.

Il aime volontiers asséner qu’il est incapable de prendre une photo si rien ne se passe devant l’objectif. Il se réduit par modestie à un photographe de l’action, un de ces cueilleurs d’instants qui se contentent de se trouver au bon endroit à l’instant propice, avec leur filet à papillon en main. Mais je l’ai vu courir après le soleil pour capter une ombre propice sur le velours d’un versant, s’extasier devant l’acier d’une aube mercurielle, s’épanouir au spectacle d’un miroitement vif-argent dans le sillage d’une jonque. Et se passer très bien de toute espèce d’événement en célébrant d’un déclic la beauté éphémère des choses intangibles : l’air, l’eau, les couleurs...

Photographie de Thomas Goisque
Yakoutie (2003)

J’aime croire que les traits morphologiques des uns et des autres influencent les destins. Talleyrand disait que sa vocation c’était sa jambe (boiteuse). La vocation de Goisque c’est son oeil. Bleu, profond, aiguisé et tapi dans l’orbite, comme pour mieux viser le monde à l’abri d’un front proéminent au balcon duquel se penchent souvent pensées inquiètes et rêve d’avenir.

Sa géographie mentale (cet ensemble de lieux chers à nos coeurs et qui finissent par constituer un planisphère intérieur, une carte du tendre) englobe l’Asie du sud-est où il a contracté le mal jaune, la Yougoslavie où il a servi comme casque bleu, la Russie d’après l’époque rouge, l’Afrique dont il a fait le tour à la voile, la mer enfin. Ce qui ressemble à un port l’enchante : un endroit où tout n’est qu’invitation aux départs et où les rayons du soir se prennent dans le réjouissant foutoir des quais de chargement.
Il aime les gens aux destins forts. Ceux qui ont oeuvré à devenir ce qu’ils sont. Ceux qui, ne se contentant pas de dissoudre leur vie dans l’étude ou le plaisir, ont connu la "bénédiction de l’action" pour reprendre la belle expression de Sir Hillary.

Photographie de Thomas Goisque
Avec les forces spéciales, Afghanistan (2008)

S’il lui fallait serrer quelques livres au fond d’une caisse en partance pour l’île déserte, il y aurait Kessel, Monfreid, Saint-Exupéry, Hergé, et des récits de batailles épiques. Bref l’essentiel pour ne jamais s’ennuyer et comprendre que la vie n’est pas faite pour ressembler aux huîtres.

Mais on ne court pas le monde sans attaches. Les équipages les plus intrépides finissent par rentrer au port. J’ai rarement connu de voyageurs si fidèles à l’endroit d’où ils viennent. Thomas Goisque a plus que l’amour de sa terre natale : il a la conscience d’en être partie intégrante. Comme si le fait d’avoir grandi en un lieu, d’être de quelque part finissait par vous attacher au sol par la grâce de liens mystérieux invisibles entre la terre et son propre organisme. Quand il s’est installé dans une ferme picarde il y a quelques années Thomas a accompli ce qui pourrait bien ressembler à la définition d’une vie réussie : le séjour dans un bel havre ancré dans une terre puissante d’où on peut larguer les amarres pour les horizons lointains, certain que, quelque part dans l’immensité du monde, un foyer vous attend peuplé de ceux qui vous aiment.

Photographie de Thomas Goisque et Sylvain Tesson
Avec Sylvain Tesson, désert de Gobi (2003)

Sylvain Tesson
Géographe-écrivain-voyageur

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